Virginie Delalande est une femme "qui en impose". Par son charisme, certes, mais aussi par son CV : juriste de formation, avocate, responsable de service juridique pour une grande compagnie d’assurance, et depuis peu à la tête de sa propre entreprise de coaching pour adultes en situation de handicap, Handicapower.
Car Virginie Delalande est aussi sourde profonde de naissance. Elle a appris au prix d’innombrables heures de travail à parler, pour rejoindre le monde des entendants. Ce handicap et les années de combat qui vont avec, elle en a fait ce que les spécialistes des ressources humaines appellent aujourd’hui une "soft skill".
Virginie Delalande est enfin le personnage principal du dernier documentaire de Laëtitia Moreau, prochainement diffusé sur Arte, intitulé "L’éloquence des sourds". [1]
Autant de bonnes raisons de l’interviewer !
Virginie Delalande, vous avez quitté l’entreprise dans laquelle vous travailliez pour créer votre propre entreprise : pouvez-vous nous en dire plus ?
Virginie Delalande : "Oui, en effet. J’ai quitté mon entreprise fin 2017 pour me consacrer au coaching des personnes en situation de handicap, afin de leur permettre de développer leur "handicapower", c’est à dire aller au-delà de la simple acceptation du handicap et du regard des autres, et se demander comment tirer parti de cette expérience de vie pour retrouver une place positive et inspirante au sein de notre société. Avoir un handicap permet de développer des qualités humaines et managériales très intéressantes et une capacité d’adaptation incroyable dans un monde qui change vite."
Vous renversez le message habituel et souhaitez faire du handicap une valeur ajoutée : comment vous y prenez-vous ?
"Avoir un handicap permet de développer des qualités humaines et managériales très intéressantes et une capacité d’adaptation incroyable dans un monde qui change très vite.
Pour les entreprises, la plus-value est importante en terme de service client également puisqu’une personne handicapée est sensibilisée à tous les problèmes qu’un client "lambda" peut rencontrer avec le produit : notion d’accessibilité universelle, compréhension du produit ou service proposé, recherche de solutions, grande sensibilité relationnelle (etc…).
De nombreux objets du quotidien qui nous simplifient la vie aujourd’hui ont, à l’origine, été conçus pour des personnes handicapées : ascenseur, télécommande, SMS etc…"
- Viriginie Delalande
(Crédit photo : Alexandre Brendel)
En particulier dans le monde du droit, en quoi votre handicap est-il un plus, une valeur ajoutée pour une direction juridique ?
"Le fait de devoir quotidiennement m’adapter à mon environnement et aux personnes, donc de devoir trouver des plans B, C, D etc., mon excellente lecture labiale et ma compréhension fine du langage non verbal faisaient de moi une collaboratrice particulièrement appréciée lors des réunions stratégiques.
Pour l’anecdote, j’avais participé à une réunion de négociation dans le cadre d’une cession d’entreprise et l’associé du cabinet dans lequel je travaillais avait un doute sur un point du dossier. Il m’a discrètement demandé d’aller le vérifier (en me parlant sans le son), ce qui nous a permis de poser les bonnes questions et d’éviter à notre client acheteur une mauvaise surprise… "
Pour une entreprise, l’accessibilité en terme d’équipements est-elle compliquée à mettre en place ? Cet aspect matériel est-il un élément principal ou secondaire ?
"Cela dépend du handicap. Les chiffres disent que 80% des handicapés en entreprise n’ont pas besoin d’aménagement spécifique…
Dans le cas de la surdité, ce n’est pas compliqué si les bonnes personnes se mettent autour de la table pour en préparer l’installation et pour en assurer le suivi. J’avais droit à un outil qui me permettait de téléphoner et d’assister à des réunions en toute sérénité, une personne retranscrivant par écrit tous les propos à distance. Pour la confidentialité, si certains se posent la question, cette entreprise travaille également avec de nombreux acteurs dont le degré de confidentialité est très haut : de grands ministères et de grands industriels français l’utilisent également et c’est un sujet essentiel à avoir en tête !"
Dans mon cas, cette accessibilité est indispensable pour la simple raison qu’il est plus pertinent de consacrer son énergie au travail plutôt qu’à la compensation de son handicap (lire sur les lèvres, s’adapter à ses interlocuteurs en permanence, suivre le "ping-pong" d’une conversation, se demander si ce qu’on a compris est vraiment ce qu’il fallait comprendre etc…). On n’a malheureusement pas une réserve d’énergie inépuisable, ou alors je veux bien qu’on me transmette le secret !"
Avez-vous un réseau de juristes en situation de handicap ?
"Non mais ce serait une excellente idée !"
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants en droit pour pallier la différence de "qualité d’information" que vous évoquez dans le documentaire de Laëtitia Moreau, à savoir que de fait vous n’avez pas accès de la même façon aux cours dispensés à l’oral ?
"Je leur conseille d’aller dans une université où il y a un service d’accueil pour les personnes handicapées… A Assas par exemple… Ça aide énormément, ne serait-ce que pour récupérer des cours de qualité ou pour trouver un binôme avec qui travailler ses cours…
Cela n’existait pas à mon époque et la fac de droit a été toute une histoire… Les profs étaient vraiment odieux face à mon handicap. Pas un n’a accepté de me passer ses cours ou même de réfléchir avec moi pour trouver un plan B ! Heureusement que j’avais déjà développé cette capacité à ne pas me décourager au premier obstacle et à chercher des combines…"
Pour finir : où en est votre rêve de plaider ?
"J’ai obtenu le titre d’avocat mais je n’ai jamais plaidé… Plus jeune, j’avais tellement peur de ne pas être comprise ou mal comprise et que cela porte préjudice à mon client !
Aujourd’hui, je me destine à être conférencière… La vie est pleine de surprises !"
Propos recueillis par Nathalie Hantz.